La gare est pleine à craquer. Des files interminables d'humains, les yeux rivés sur les panneaux d'affichages ondulent comme de longues vagues. Difficile de traverser pour aller vers les grandes lignes. Je me fais un petit chemin, on est à la queue leu  leu et on traverse la marée humaine. Pas de train avant dix huit heures. Damned, c'est l'enfer. Ca va, ça vient, la marée se déplace, des mouvements s'opèrent, irréguliers. Tout un chacun se croise dans l'indifférence la plus complète. Je me paie un jambon beurre, histoire de patienter.

Houlà, la marée frise le tsunami, une annonce au micro, ça court, ça court! Toute la gare se déverse sur un même côté vers la voix vingt sept, ça va basculer si on se met tous sur le même bord. Ouf, mais non, on n'est pas dans un bateau. Mais ça continue, toute la gare ne  va  tout de même rentrer dans cet unique train? On est en Inde, les  passagers vont monter sur le toit, s'accrocher aux portières. Le chef de gare, et oui il y en a un, siffle, le panneau annonce " ACCES  INTERDIT". Le train va partir. Y en a qui court encore, un dernier espoir de monter dans la bête de fer. Les feux s'allument, les portes se ferment et le surplus de voyageurs reflue comme une dernière vague sur le quai régurgité par le train gavé. Un dernier "rot"? Oui, encore quelques distraits qui reviennent, essoufflés par une course inhabituelle. Il est trop tard, le train est parti vers la grande banlieue.

Le temps passe malgré tout, intéressée que je suis par les allées et venues des uns et des autres. Tout à coup on est un peu serrés, qu'est-ce qui se passe? Nous sommes tous face au panneau magique. Le train pour Le Havre est en haut de la liste, le seul l'unique de la soirée. Il ne faut pas quitter des yeux le fameux panneau, voir l'instant même où le numéro du quai va s'afficher. L'armée allemande déboule dans la gare d'un pas régulier et bruyant. Nous sommes serrés les uns contre les autres. Mon sac est lourd, il me tire sur l'épaule. Je le mets en bandoulière. " Ha, ça va mieux" Qu'est-ce que je raconte moi, on n'est pas en guerre, on ne part pas pour le dernier voyage. Non! Quai n° dix neuf. Mouvement de foule, la marée va se déverser. Une femme veut composter au passage "ça va pas non, c'est pas le moment". De toute façon le contrôleur ne va surement pas s'aventurer en territoire hostile ce soir.

Bon la marée se dirige vers le train et là, passé le goulot tout va bien, le train se remplit mais sans plus.

Ouf! c'était juste un jour de grève